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La Cour européenne des droits de l'homme et la liberté d'expression d'un homme politique

La Cour européenne des droits de l'homme et la liberté d'expression d'un homme politique

Le 12 avril 2012, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a de nouveau condamné la France pour violation de l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme intitulé « Liberté d'expression » :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.  
Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. 
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». 
 

La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a estimé qu'une condamnation pénale pour diffamation publique, envers un adversaire politique et lors d'une séance du conseil municipal, constituait une violation de la liberté d'expression.  
 

Faits et procédure :
 

Le maire adjoint de Versailles chargé des finances, à la suite de propos tenus lors d'une réunion du conseil municipal par un conseiller municipal le mettant en cause dans le cadre d'une instruction judiciaire menée dans l'affaire des marchés publics d'Île-de-France a saisi le Tribunal correctionnel de Versailles pour diffamation publique.
Cette juridiction a condamné le conseiller municipal qui a interjeté appel.
La Cour d'appel de Versailles a confirmé la décision entreprise.
Le conseiller s'est alors pourvu en cassation de sa condamnation, invoquant l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme relatif à la liberté d'expression. 
Son pourvoi a été rejeté.
Il saisit donc la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) soutenant notamment qu'en ayant été condamné pénalement par des juridictions françaises, les autorités nationales ont porté atteinte à son droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10. 
 

Discussion :    
 

Dans l'arrêt « Handyside c. Royaume-Uni » du 7 décembre 1976, la Cour a qualifié la liberté d'expression comme étant « l'une des conditions de base pour le progrès des sociétés démocratiques et pour le développement de chaque individu ».
Elle a toujours affirmé une interprétation beaucoup plus large de la liberté d'expression que celle des juges nationaux qui ont il est vrai une vision stricte de cette liberté.
Déjà, dans son arrêt Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999, la CEDH rappelait que : «La liberté d'expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit et l'esprit d'ouverture sans lesquels, il n'est pas de « société démocratique ». 
Dans son arrêt du 12 avril 2012, la CEDH a estimé que cette condamnation constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, enfreignant ainsi, par principe, l'article 10 de la Convention, sauf si celle-ci est prévue par la loi et est dirigée vers la protection d'un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2.
1. La Cour relève que cette atteinte était bien prévue par la loi française, et notamment dans son article 29 la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation.(...) » et  
2. Qu'elle visait un but légitime, à savoir, la protection de la réputation et des droits d'autrui.
Néanmoins, dans cet arrêt, la Cour repousse les limites de la critique admissible à l'égard d'un homme politique qui sont plus larges que pour un simple particulier. L'homme politique expose plus ses faits et actes à la critique. 
La Cour déclare que « si les déclarations du requérant n'étaient pas couvertes par une quelconque immunité parlementaire, elles ont été prononcées dans une instance pour le moins comparable au parlement pour ce qui est de l'intérêt que présente, pour la société, la protection de la liberté d'expression : or, dans une démocratie, le parlement ou des organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique et une ingérence dans la liberté d'expression exercée dans le cadre de ces organes ne se justifie que par des motifs impérieux ». 
Elle estime donc qu'un juste équilibre n'a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d'expression et celle de protéger les droits et la réputation de la victime.
Si à l'occasion d'une séance publique d'un conseil municipal, il est fait mention à de précédentes affaires pénales mettant en cause un maire adjoint, présent dans la salle, en le dénommant « monsieur la mallette », ces propos constituant pour les juridictions nationales le délit de diffamation, la CEDH quant à elle considère : 
« En prenant la parole sur les thèmes abordés par le conseil municipal, le requérant a mentionné B. D. à quatre reprises, en l'associant à une mallette d'une manière assurément provocatrice et polémique, sans toutefois contenir ni une attaque personnelle gratuite, dès lors que la base factuelle sur laquelle reposaient lesdits propos n'était pas inexistante, ni une accusation de corruption ou de détournement de fonds publics. En interpellant le plaignant de la sorte lors des débats, qui portaient sur la gestion de la commune et les dépenses publiques, les propos du requérant s'inscrivaient à l'évidence dans une critique plus générale sur la manière dont B. D. exerçait ses fonctions d'adjoint au maire chargé des finances ». 
La CEDH va jusqu'à préciser que :
« Partant, même si les déclarations du requérant n'étaient pas couvertes par une quelconque immunité parlementaire, elles ont été prononcées dans une instance pour le moins comparable au parlement pour ce qui est de l'intérêt que présente, pour la société, la protection de la liberté d'expression : or, dans une démocratie, le parlement ou des organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique et une ingérence dans la liberté d'expression exercée dans le cadre de ces organes ne se justifie que par des motifs impérieux ».
Le débat politique étant devenu en France violent ces dernières années, il est à craindre que cette tolérance de la CEDH donne lieu à des dérapages qui ne vont pas dans le sens de l'apaisement.
 

Publié le 14/06/2012

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